Utilisation des technologies 2.0: Comment mobiliser ses apprenants, avant, pendant et après la formation?

En conclusion d’un projet de recherche de la HES-SO (Haute école spécialisée de Suisse occidentale) réalisé entre 2014 et 2017, les auteures, Natalie Sarrasin et Zarina Charlesworth, toutes deux professeures  à la HES-SO, ont choisi de publier un guide à destination de leurs pairs, afin de les inspirer à inclure des technologies numériques dans leur enseignement. L’objectif de ce guide est de vous amener à vous poser les bonnes questions pour trouver la meilleure voie afin d’intégrer des technologiques 2.0 dans votre formation. La réflexion s’initie à partir d’un besoin précis pour répondre à un objectif pédagogique, ensuite il s’agira de trouver l’outil adéquat. En avant-première, l’Agora vous offre un extrait de ce guide pratique à destination des formateurs d’adultes.

L’avantage d’enseigner à des adultes est qu’ils sont majeurs, donc libres de leurs actes et qu’en plus ils possèdent souvent un ordinateur portable et/ou un smartphone. Ainsi, des pratiques qui ne seraient pas possibles dans l’enseignement obligatoire prennent tout leur sens dans ce contexte. Du côté des formateurs, une forte volonté d’utiliser ces technologies à bon escient a été identifiée, pour finalement encore assez peu d’exemples concrets d’application.

Après deux ans de recherche sur l’utilisation des technologies dans l’enseignement supérieur, un double constat a été posé: d’une part, le monde a changé avec l’arrivée d’Internet et plus récemment de sa mobilité et d’autre part ce changement majeur, lié à l’avancement des technologies numériques, n’a pas été suffisamment intégré dans l’enseignement, notamment tertiaire.

En 2016 déjà, le rapport du World Economic Forum sur l’avenir de l’emploi présentait les compétences nécessaires à la réussite professionnelle du XXIe siècle et, de plus, soulignait que ces compétences évolaient très rapidement. A titre d’exemple, la créativité est passée en cinq ans de la dixième à la troisième place des compétences professionnelles à posséder pour exceller en entreprise.

Plus qu’une menace, il faut voir dans cette évolution des opportunités à saisir. Dans le domaine de l’enseignement, cela peut se traduire, selon Sue Bennett par «l’accent mis sur la participation active, la génération de contenu par les utilisateurs et la collaboration qui semblent bien correspondre aux types d’activités créatives et critiques que nous associons à l’enseignement supérieur, aux façons dont nous savons que les participants apprennent grâce à de multiples perspectives et aux compétences en communication et en travail d’équipe que nous voulons que nos diplômés développent.». Être à l’avant-garde de la pratique éducative exige d’offrir aux personnes en formation une expérience qui leur apportera une valeur ajoutée dans leur activité professionnelle.

Lors des échanges avec les innovateurs en pédagogie, il est apparu clairement que le changement s’opère essentiellement sur deux dimensions: (1) celle du temps et de la distance et (2) celle des rôles nouveaux et évolutifs pour les enseignants.

Temps et distance

L’impact des technologies numériques sur les éléments temps et distance a un effet réel sur la conception et la prestation des cours. La collaboration peut désormais s’établir de manière synchrone ou asynchrone, sur une variété de périodes allant de quelques heures à un ou plusieurs semestres. Elle peut s’entendre pour des groupes de taille variable ainsi que pour les projets qui abordent tant des problèmes simples que plus complexes. Enfin, la collaboration peut désormais se faire en présence de tous les acteurs ou alors à distance pour autant qu’un espace d’échange soit créé dans cet objectif (ENT).

Nouveaux rôles

Avec tous ces changements, il paraît évident que la posture du formateur doit changer. Du rôle de sage sur son estrade (sage on the stage) défini par Alison King, il doit passer à celui de coach aux côtés de l’apprenant (guide on the side). Tout en gérant l’apprentissage du groupe, il doit s’assurer que chacun puisse y trouver son compte. Les plateformes en ligne d’apprentissage permettent, dans ce contexte, une personnalisation de l’apprentissage, tant par son suivi individualisé par le formateur que par la dynamique de la communication inter-apprenants.

Au fil des rencontres avec les formateurs et les responsables pédagogiques d’institutions, un grand enthousiasme à intégrer ces technologies dans l’enseignement supérieur a été mesuré, avec toutefois un frein majeur qui était comment le faire et pour quelle valeur ajoutée (pour moi formateur et pour mes participants)? Afin de leur donner quelques pistes, un guide a été élaboré qui se veut très opérationnel et évolutif. Ce dernier est structuré en quatre parties distinctes:

A. Créer des communautés
B. Promouvoir l’autonomie de l’apprenant
C. Evaluer avec les technologies
D. Utiliser les technologies en «live» dans mes cours

L’objectif de ce guide est de donner envie de tenter l’aventure, à ceux qui hésitent encore à utiliser les technologies 2.0 en situation de formation. Le but affirmé est de dépasser l’outil (les cool tools) afin d’identifier des créations de valeur dans la formation grâce à l’utilisation de technologies. Il s’agit donc d’identifier quelques exemples de situations, qui permettront au lecteur de se projeter, d’imaginer comment intégrer ce scénario dans son propre enseignement, en l’adaptant, le distordant, se l’appropriant, afin qu’il prenne tout son sens et crée le maximum de plus-value dans la séquence d’apprentissage.

A. Créer des communautés: exemple avec Google+

L’avantage des communautés web 2.0 est multiple. Bien sûr, elles permettent avant la formation de rassembler en un seul endroit les contenus créés ou partagés par les participants. Elles permettent également des interactions intra-communautaires durant et après. Les communautés sont disponibles 24h/24 et accessibles où que l’on se trouve. Enfin la plupart des communautés sont aujourd’hui accessibles via la mobilité (smartphone ou tablette).

Les communautés de collaboration et de co-création/co-construction de savoir sont non seulement passionnantes, mais permettent aussi d’ajouter une valeur réelle à l’expérience d’apprentissage. Idéalement, une communauté d’apprentissage vise à ce que ses membres contribuent, partagent des idées, collaborent et progressent ensemble. En formation, ce n’est pas toujours évident, c’est pourquoi une structure sous-jacente pour promouvoir la collaboration est nécessaire. Il est extrêmement important que les participants comprennent les raisons de l’utilisation d’une telle communauté et les résultats escomptés. Une fois que cela est communiqué, la communauté peut commencer à prendre forme et à se développer. Afin d’encourager cela, le formateur peut aussi choisir d’avoir une double grille de notation de performance: une pour la communauté globale, à appliquer au groupe et une pour l’individu. Parmi les options les plus courantes disponibles pour créer une communauté collaborative, se trouvent: les groupes Facebook, les communautés Google+, les groupes LinkedIn, Moodle Forum, Slack, etc. mais il y a une multitude d’autres options disponibles en fonction des besoins définis.

B. Promouvoir l’autonomie de l’apprenant

Alors que nous sommes constamment soumis à une surabondance d’informations, l’autonomie dans le travail est une qualité que les formateurs devraient chercher à développer chez leurs apprenants. Barry Zimmermann a défini ainsi l’autorégulation pour l’apprentissage: « les élèves initient et dirigent personnellement leurs propres efforts pour acquérir des connaissances et des compétences, plutôt que de se fier aux enseignants, aux parents ou à d’autres agents d’enseignement ».

Même si l’apprentissage centré sur l’enseignant tend à s’effacer, pour laisser place à une concentration accrue sur l’élève, son impact réel ne fait que commencer. Les apprenants sont maintenant censés être proactifs dans leur apprentissage, participer à la construction de leurs propres connaissances et, dans une certaine mesure, gérer le processus d’apprentissage. Cela nécessite des compétences qui vont bien au-delà de la gestion du temps, qui appellent les apprenants à être autonomes dans leur apprentissage et leurs activités associées, tandis que l’éducateur assume un rôle de guide ou de coach. L’encouragement à la prise de notes, à l’auto-questionnement, à la compilation de l’information et à l’organisation des documents ne sont que quelques-unes des compétences à développer au fur et à mesure que l’étudiant gagne en autonomie. L’autonomie de l’apprenant peut également contribuer au développement de la compétence de la pensée critique, car l’étudiant ne peut plus compter sur l’éducateur pour fournir toutes les réponses.

La technologie peut fournir de l’aide avec une pléthore d’outils de curation, comme Storify, Scoopit et Evernote, entre autres, tous maintenant disponibles pour aider les apprenants à trouver et compiler des portfolios de recherche. Au-delà de l’échange d’informations, l’apprenant autonome passe à la construction et à la co-création du savoir. La technologie a également un rôle de collaboration à jouer, avec des outils comme Google Drive et les Google Docs, Sheets et Slides associés, Office 365, et tout autre système de partage d’informations et de co-création via les «clouds».

C. Evaluer avec les technologies

L’évaluation reste un processus complexe. Différents types d’évaluation peuvent être réalisés grâce à des outils technologiques. Un chapitre entier du livre «Comment évaluer les apprentissages dans l’enseignement supérieur professionnalisant?» est d’ailleurs consacré à cette thématique (Sarrasin, 2017).

Première distinction à faire: l’évaluation est-elle sommative ou formative? Dans le premier cas, si vous souhaitez utiliser des outils technologiques, vous avez une difficulté initiale qui consiste en la validation de l’identité de celui qui réalise l’évaluation. Aussi, est-il préférable de réaliser ce type d’évaluation dans un espace numérique certifié par l’institution. Par exemple, un LMS (learning management system) très répandu est Moodle, il en existe d’autres, comme Blackboard ou Claroline. L’avantage d’effectuer l’évaluation sommative dans cet environnement officiel est qu’il ne vous appartient plus de vérifier l’identité de celui qui passe l’évaluation puisque son accès et mot de passe garantissent que l’apprenant est bien affilié à l’institution.

Pour l’évaluation formative, un feedback est nécessaire et permet de faire progresser l’apprenant. Soit le feedback est immédiat après la question posée, soit il peut intervenir à la fin de la session d’évaluation. Dans un souci de progression, il est fondamental que l’apprenant prenne conscience de ses éventuelles erreurs.

L’évaluation avec les technologies peut ainsi prendre plusieurs formes:

– Quizz
– Dépôt de documents électroniques (texte, photo, vidéo)
– Evaluation par les pairs (avec octroi de travaux à évaluer de manière anonyme)
– Auto-évaluation (qui peut prendre la forme d’une vidéo ou d’un texte)

Enfin l’évaluation peut être personnelle ou concerner un groupe, auquel cas, la qualité de la co-construction et le travail collaboratif pourront également être évalués.

D. Utiliser les technologies en «live» dans mes cours

Avec l’arrivée des technologies numériques en classe, il est important de rappeler que ce n’est pas tant l’outil qui ajoute de la valeur à l’expérience d’apprentissage, mais son usage. La technologie ouvre des perspectives non encore explorées. L’éducateur créatif peut mettre en place des scénarii différents quasi à l’infini.

Dynamiser son cours est l’une des raisons de l’utilisation des technologies en classe, d’une part afin de surprendre l’apprenant et d’autre part pour l’activer dans son apprentissage.

Le principal frein à leur utilisation est en premier lieu l’accès à ces technologies. Le fait de s’adresser à des adultes apprenants permet de poser l’hypothèse qu’ils possèdent au moins un smartphone avec eux ou au mieux un ordinateur portable. Du côté de l’enseignant même scénario, il faudra souvent qu’il compose avec son propre matériel (ordinateur et smartphone), déjà dans un souci de bien maîtriser la technologie.

Parmi les premiers outils à disposition pour dynamiser son cours, des outils de type «quiz» durant la session rencontrent toujours un vif succès. Les références ci-dessous permettent de le faire très simplement:

– Quiz Moodle (ou autre LMS officiel de l’institution)
– Google Forms (avec possibilité d’afficher immédiatement les résultats)
– Socratique
– Kahoot (où la justesse de la réponse mais également la rapidité sont prises en compte)
– Tout autre outil de vote électronique, même physique.

Avantages

– L’utilisation d’une activité simple et rapide qui permet de mesurer la compréhension des apprenants.
– Ces quiz peuvent être utilisés au début et à la fin d’une session pour montrer la progression de ce qui a été appris en classe.
– Le caractère anonyme de beaucoup de ces questionnaires permet d’afficher les résultats sous forme graphique pour que tout le monde puisse les voir. Cela permet également de lancer le débat sur les réponses directement après la question.
– Cet outil peut également faire partie d’une évaluation, de préférence formative.

Deuxième élément à utiliser sans modération en classe: la vidéo.

Visionnées directement depuis une plateforme de stockage comme YouTube, Dailymotion, Viadeo ou autre, les vidéos peuvent être utilisées pour donner des exemples précis, présenter l’actualité, initier des débats, enrichir les informations déjà disponibles, donner la parole aux experts, etc.

Il est également possible de créer ses propres vidéos, soit par le formateur, soit par les apprenants, individuellement ou en groupe, pour une utilisation en classe. Celles-ci peuvent être présentées avec ou sans annotation. Les vidéos peuvent être des montages réalisés avec des outils comme Powerpoint (eh oui…), Powtoon, Videoscribe, etc. Mais elles peuvent également être des enregistrements de live, avec Facebook Live, Youtube Live, Periscope, etc.. Les contenus peuvent être des interviews d’experts amenés par les apprenants, des enregistrements de jeux de rôle, des illustrations de situations réelles, etc.

Troisième élément, la recherche d’informations.

L’utilisation des outils de curation mentionnés précédemment dans la promotion de l’autonomie des participants peut faire double emploi en leur permettant de perfectionner leurs compétences de recherche d’information et de présenter le sujet qu’ils ont développé. Selon l’outil utilisé, il peut s’agir de diapositives, de photos et de vidéos… En projetant les résultats sur un écran visible par tous, les apprenants voient en direct la structure de leurs recherches se mettre en place.

Enfin un dernier élément, plutôt technique, qui permet d’ajouter du dynamisme à son cours est la possibilité de projeter le contenu de son smartphone ou tablette directement sur un écran visible par tous. Ceci peut très facilement être réalisé avec des appareils comme la Chromecast de Google, le Miracast (Wireless Display Adapter) de Microsoft ou tout autre outil de «screencast».

Ces outils sont d’un coût abordable (compter une cinquantaine de francs) et sont très intuitifs d’utilisation. Ce dispositif permet également aux apprenants de prendre possession rapidement de l’affichage.

En conclusion, il est à relever que l’élément le plus important dans cette démarche d’intégration des apprenants au processus de création et de diffusion du cours via les technologies numériques est celui de la définition des objectifs pédagogiques. Une fois ces derniers spécifiés, il n’y a plus aucune limite aux différentes manières dont la technologie peut ajouter de la valeur à l’expérience d’apprentissage avant, pendant et après la classe.

Maintenant c’est à nous, formateurs, d’être créatifs! Alors imaginons, créons, innovons, mais surtout partageons.

Dr. Zarina Charlesworth, Professeure HES-SO
zarina.charlesworth@he-arc.ch

Natalie Sarrasin, Professeure HES-SO
natalie.sarrasin@hevs.ch