Pourquoi notre système de formation a-t-il un tel succès à l’étranger?

L’apprentissage dual fait aujourd’hui l’objet d’une très grande attention: des délégations étrangères en provenance de tous les continents se succèdent pour connaître les possibilités d’adaptation d’un tel système dans leur pays. Pourquoi un tel succès?

Il constitue l’une des particularités du système suisse de la formation professionnelle. Nous le partageons également avec les Allemands et les Autrichiens. La personne en formation acquiert simultanément la partie pratique du métier en entreprise et la partie théorique en école professionnelle. En Suisse, ce sont plus de 200’000 jeunes qui optent pour ce type de formation menant au certificat fédéral de capacité, mais aussi à la maturité professionnelle puis aux hautes écoles spécialisées.

Qu’est ce qui fait donc la force de cette formation et la rend soudainement si attractive alors qu’il n’y a pas si longtemps encore, elle était souvent considérée comme totalement obsolète et plus du tout en phase avec les exigences actuelles? Plus généralement qu’est-ce qui fascine l’observateur étranger dans notre système de formation? Pour le comprendre, il faut rappeler que même si en fonction des continents, des pays ou des régions, il y a bien évidemment de très grandes spécificités, on retrouve quelques grandes tendances dans l’attractivité de notre système qui touchent aux éléments suivants: la valorisation de la formation professionnelle, l’adéquation entre formation et besoins de l’économie, le rôle des entreprises, la perméabilité entre les différentes filières de formation.

La démocratisation des études, qu’elle soit effective ou qu’elle constitue un idéal pas forcément atteignable, peut conduire partout à un leurre, celui de penser que la promotion sociale ne passe que par des études académiques avec, en corollaire, la désertion des jeunes pour des formations professionnelles et leur dévalorisation. En Suisse, dans les valeurs et dans la culture dominante, l’apprentissage d’un métier est considéré comme l’une des clés de la réussite sociale et comme le départ d’un parcours professionnel « sécurisé ». Ceci se traduit par le fait que 2/3 des jeunes choisissent la formation professionnelle. Mais encore plus étrange pour l’observateur de constater que cette formation initiale peut conduire ensuite à des parcours aussi prestigieux que celui de ministre, de directeur des plus grandes banques ou encore de patron des plus grandes industries du pays.

Une constante est quasiment présente partout et se traduit par l’équation suivante: l’économie se plaint du manque de personnel qualifié, en même temps les jeunes sortent des systèmes de formation sans pouvoir trouver du travail. La Suisse qui caracole aux premières places de tous les classements internationaux en matière de compétitivité et d’innovation connaît un des plus faibles taux de chômage des jeunes au monde. Ceci est dû bien sûr à de nombreux facteurs, mais aussi aux caractéristiques de notre système de formation dans lequel les contenus de formation sont définis par les milieux professionnels eux-mêmes. Les jeunes, une fois leur apprentissage terminé, peuvent mettre en œuvre les choses qu’ils ont apprises dans l’entreprise tout en ayant une bonne mobilité professionnelle.

La plupart des pays qui s’intéressent à l’apprentissage dual ont un système de formation professionnelle technique où la formation est dispensée essentiellement dans un établissement scolaire, avec parfois des possibilités de stage en entreprise. Le jeune est sous la responsabilité de l’école. En Suisse, dans le cas de l’apprentissage c’est l’entreprise elle-même qui assure l’ensemble de la formation pratique, qui engage l’apprenti et qui en plus va le payer. L’entreprise formatrice est contrôlée et doit assurer un suivi qualité de la formation. Au même titre qu’un centre de formation, elle respecte un programme pédagogique. Cette forme de « scolarisation » du travail interroge beaucoup les observateurs extérieurs pour qui souvent les exigences de productivité des entreprises sont incompatibles avec l’exercice d’une responsabilité de formation.

Les systèmes de formation sont généralement caractérisés par un manque de perméabilité entre les différentes filières. Celui qui entre dans une formation générale aura strictement accès ensuite à des études académiques et celui qui opte ou doit opter pour une voie professionnelle devra y rester. Le système suisse de formation a introduit une perméabilité qui offre à un détenteur de CFC, une fois sa maturité professionnelle obtenue, de suivre une classe passerelle et d’accéder à l’université. A l’inverse, un porteur de maturité gymnasiale, se verra reconnaître ses acquis et pourra bénéficier d’un raccourcissement de sa formation professionnelle. En justifiant d’une année d’expérience professionnelle, il aura la possibilité d’accéder aux hautes écoles spécialisées. En facilitant cette articulation entre les différentes formations, la Suisse a probablement trouvé un modèle qui répond à la fois aux exigences d’une économie très évolutive et à une nécessité individuelle de mobilité professionnelle.

La recherche des différents éléments qui caractérisent notre système de formation et qui en font son succès est un exercice doublement intéressant et indispensable. D’une part, il nous amène à mieux cerner ce qu’est l’ADN de la formation professionnelle en Suisse et, d’autre part, il nous amène très vite à abandonner toute velléité de penser que ce système peut être exporté au même titre que nos montres ou notre chocolat. Le penser serait omettre que la formation et les prémices sur lesquelles elles reposent sont toujours ancrées dans une culture très spécifique qui par définition n’est pas transférable.

Grégoire Evéquoz, Directeur général de l’Office pour l’Orientation, la formation professionnelle et continue de Genève