Influence et pouvoir en formation

Nous aimons croire que nous sommes les capitaines de nos existences, que nous contrôlons nos décisions et faisons des choix de manière autonome, mais nous agissons en réalité constamment sous influence.
 
«La formation transmet-elle une manière de penser ou propose-t-elle de penser à sa manière?» Pierre Dominicé.
 
Nous sommes influencés par notre histoire, nos expériences, notre environnement et finalement par les autres, dans un tissu d’interconnections permanentes qui déterminent nos choix et nos comportements, la plupart du temps à notre insu. Temps forts de la conférence du 28 avril en préambule de l’AG de l’Arfor.
 
Vous travaillez dans la restauration et voulez augmenter vos revenus? Répétez mot pour mot la commande de vos clients et vous triplerez vos pourboires («effet caméléon», expérience de Van Baaren, Holland, Steenaert et Van Knippenberg). L’influence par imitation (mimèsis) est au cœur des interactions humaines et, plus encore, constitue un mécanisme inné de la construction identitaire. L’humain est un bricoleur qui imite tout au long de sa vie pour se construire; tout d’abord étant bébé pour apprendre à parler et à marcher, puis plus tard dans sa vie en s’inspirant de certains «rôles modèles», des personnes importantes qu’il rencontrera dans son parcours, mais aussi d’idées, de philosophies diverses qu’il s’appropriera dans un joyeux «patchwork personnel» et qui contribueront ainsi à façonner sa personnalité. En résumé, nous sommes le résultat de nos imitations successives et c’est grâce à l’influence de nos différents modèles que nous sommes devenus qui nous sommes.
 
Faisons encore la distinction entre deux types d’imitation: l’imitation créatrice et le formatage. L’enfant qui joue à imiter des animaux apprend, se développe et prend sa place dans le monde à travers l’imitation créatrice. Cette forme d’imitation favorise le développement de l’individu mais échappe à toute maîtrise de la part du formateur. L’apprenti pilote «est formaté» à faire décoller un avion à travers l’apprentissage de gestes précis. Ce développement de savoir-faire a évidemment son utilité (je préfère prendre l’avion avec un pilote «formaté» plutôt que «créatif» et je suis bien content que le mécanicien qui répare ma voiture ait appris des gestes précis) mais risque de réduire le potentiel de développement «humain».
 
La question qui se pose alors pour le formateur est une question d’éthique personnelle et de marge de manœuvre. Dans mon contexte professionnel spécifique, en tenant compte de ses règles et de ses contraintes, est-ce que je choisis et j’assume le formatage? Ou est-ce que je choisis quelque chose de plus ouvert, pour tenter – car il s’agit bien d’une tentative, aux résultats toujours imprévisibles – de favoriser le développement de l’individu? La posture et les conséquences ne seront évidemment pas les mêmes…
 
Choisir d’influencer par la création plutôt que par le formatage, c’est dans un premier temps prendre conscience des modèles qui m’influencent. Quelles sont leurs idéologies? Quelles sont leurs alternatives? Avec quel recul et quel sens critique est-ce que je projette mes modèles et influence les autres?
 
En formation, l’exercice du pouvoir est inéluctable dans la mesure où les rôles endossés dans l’interaction sociale créent une asymétrie reconnue. Goffman (1973) définit l’interaction comme une «influence réciproque que les partenaires exercent sur les autres quand ils sont en présence les uns des autres». Les participants à l’interaction endossent des identités situées qui se manifestent par des rôles sociaux. Ce sont des rôles corrélatifs tels qu’un médecin-patient, collaborateur-supérieur ou formateur-participant. L’un ne peut pas exister sans l’existence de l’autre. Dans l’interaction, chacun tente de donner une image de soi adéquate par rapport aux attentes de la situation. Il s’agit des rapports de face réciproques qui vont influencer la relation entre le formateur et les participants. Nos actes langagiers peuvent menacer ou ménager les faces, il est donc important que le formateur prenne conscience de sa posture et de sa communication. La façon dont le formateur interagit avec les participants modifie parfois les rapports de place. Si un formateur décide de laisser un participant prendre un moment la place de l’expert, les rapports sont renégociés.
 
Recommandations
 
– Prendre conscience de mes déterminismes en tant que formateur
– Etre le plus clair possible dans ma façon de communiquer en soignant mes actes langagiers
– Entrer dans un processus de co-création
– Expliquer clairement mon intention et mes objectifs
– Offrir le temps et les moyens pour discuter les étapes et les théories proposées
– Offrir le droit à la contestation
– Questionner mes modèles et trouver des contre-modèles.
 

 
Séphora Nicod, formatrice avec brevet fédéral et coach
sephoranicod@gmail.com
 

 
David Savoy, formateur diplômé
david@davidsavoy.com