Des Anciens et des Modernes

Au début du XVIIe siècle, il y eut en littérature la célèbre querelle des Anciens et des Modernes. D’un côté, les partisans des Anciens qui voyaient dans le modèle antique la perfection qu’il fallait continuer, de l’autre côté, les partisans de l’innovation littéraire. La Fontaine, Boileau, La Bruyère contre Perrault et Corneille.
 
En matière de pédagogie et de formation, le couperet définitif de l’innovation est tombé. Le progrès, par ses applications inédites et révolutionnaires, est devant nous. Le passé est dépassé. Que ce soit la PNL, le culte de l’innovation technologique ou la substitution du modèle vertical du savoir de l’enseignant par celui horizontal de l’apprenant, la messe semble être dite. Au feu les Anciens et vive les Modernes ! Avec d’autant plus d’éclats lorsqu’une nouvelle innovation se présente sous le signe et l’insigne de la science. Tout est dit et les intelligences contrariantes n’ont qu’à bien se tenir.
 
Et pourtant…
 
Un peu de sérieux et de réflexion. Il est simpliste de croire que tout ce qui fut fait avant est désormais mauvais ou inutile et que tout ce qui apparaît aujourd’hui est de fait bon, vrai et inédit. Chaque époque a connu en matière de pédagogie cette lutte entre le respect des traditions et le goût de l’innovation. Du côté de l’innovation, on peut penser à l’Abbaye de Thélème imaginée par Rabelais dans Gargantua ou à l’Emile de Rousseau. Si ces pistes sont apparues fécondes, c’est aussi parce que leurs auteurs étaient pétris du savoir et de la pédagogie de leur époque. Ils s’appuyaient sur ces bases pour aller de l’avant. Dans ce mouvement de rupture, il y avait aussi de la continuité. Tout n’était pas à jeter.
 
La sanction de l’expérience
 
En pédagogie, le temps opère une sélection entre ce qui fut tenté et qui a réussi, et ce qui fut tenté et qui a échoué. Je pense dans le second cas à la fameuse théorie de la crânologie du XIXe siècle et plus récemment dans les années 1970 au désir d’enseigner les mathématiques à des élèves de 12 ans en suivant une méthode bien trop formelle. Dans les deux cas, ce fut un échec. A trop vouloir révolutionner, à trop vouloir faire table rase du passé, on a sacrifié en pure perte des jeunes intelligences sur l’autel de la religion de l’innovation.
 
Du mariage des Anciens et des Modernes
 
On voit bien que l’heure de la querelle des Anciens et des Modernes n’a plus lieu d’être. Tout n’est pas bon dans le passé, tout n’est pas stupide dans l’innovation. Il faut oser les deux, il faut aimer les deux et apprendre à trier ce qui dans le passé et ce qui dans le présent mérite d’être retenu et ce qui mérite d’être jeté. Evitons principalement les dogmatismes, les querelles de clocher.
 
Je souhaite à chaque formateur de célébrer, dès qu’il commence une formation, le mariage des Anciens et des Modernes, de prononcer par sa pratique les liens indéfectibles de cette union.
 
En guise de dot de mariage
 
N’oublions pas, dans ce joyeux mouvement d’innovation, la distinction qu’Aristote, philosophe de l’Antiquité, opérait entre la science et l’art. La science, c’est la loi. Son domaine est l’universel ou le général. L’art, c’est le particulier nourri du savoir. En pédagogie, comme en médecine, on a toujours affaire à de l’individuel. « Ce n’est pas l’homme en général que guérit le médecin, mais l’homme particulier, mais Callias ou Socrate, ou tout autre individu semblable, qui se trouve être un homme » écrit Aristote dans le début de sa Métaphysique.
 
Et c’est aussi ce qui fait la beauté du savoir-faire du formateur.
 

 
Jean-Eudes Arnoux, Consultant en philosophie
www.philoconsultant.ch