On n’est plus à l’école

Rappelez-vous, ma précédente chronique pointait le caractère désagréable du participant à un cours qui s’inquiète de l’heure de fin, avant même que ce cours n’ait commencé. J’ai même suggéré que dans certain cas, ce même participant était peu enclin à effectuer des travaux préparatoires ou des devoirs à domicile. Je persiste. Ceci est mon opinion et, je suppose, celle de beaucoup de mes pairs. Si tel n’est pas le cas, qu’ils me jettent la première pierre…

Le personnage décrit ci-dessus s’inscrit dans le contexte bien spécifique de formations certifiantes sanctionnées par un examen sous une forme ou une autre. Le besoin croissant de réduire la durée des formations longues a incité tous les concepteurs de programmes à responsabiliser le participant et à le contraindre à consacrer la majeure partie de sa formation hors des cours en présentiel. Un chargé de cours moderne ne doit plus enseigner du savoir mais transmettre du savoir-faire, du savoir-être, susciter le transfert de compétence entre participants et du cours à la réalité (taxonomie de 3 à 6 selon Bloom). Toutefois, l’apprentissage de théories, l’assimilation des savoirs reste indispensable pour la compréhension et la transposition de ces théories dans la pratique.

Potasser le code civil et le code des obligations est incontournable pour résoudre des études de cas de droit, même simples. Comprendre les règles de l’aérodynamique est nécessaire à l’apprenti pilote. Toutefois, l’acquisition de connaissances (savoirs) disponibles sous forme écrite, audio ou même vidéo peut se faire en l’absence d’un chargé de cours. Nul besoin d’un assureur pour étudier les bases du système des trois piliers dans le cadre des assurances sociales.

En conséquence, afin de réduire le nombre d’heures en présentiel, le concepteur de programme peut et doit rejeter la partie «savoir» sur de la formation à distance. Et c’est avec un enthousiasme non dissimulé que le candidat à un diplôme se plonge dans la littérature ou les modules d’e-learning. Toujours enthousiaste, le participant, chargé de connaissances théoriques toutes fraîches est totalement disposé à travailler activement avec le chargé de cours. Celui-ci va pouvoir certes clarifier certains points obscurs, mais surtout transposer ces éléments dans la réalité de son expérience et du monde actif. «Et la marmotte emballe le chocolat dans le papier d’alu…»

Je suis injuste: dans la plupart des cours, les candidats font les efforts nécessaires pour que leur progression en cours soit optimale. J’en ai même vu certains qui réclamaient des exercices supplémentaires pour poursuivre leur formation à domicile. Et pas seulement en Corée du Nord. Mais revenons au sinistre individu cité plus haut. Non seulement il veut quitter avant la fin du cours, mais il s’est rarement préparé. Quelle est sa réaction lorsque le chargé de cours annonce: «Pour la prochaine fois, je vous prierais de bien vouloir étudier le cas que je vous distribue. Vous me ferez des propositions de mesures et nous pourrons alors analyser leur pertinence»? Au mieux on obtient un gros soupir, au pire …

Alors je répète ma question: «Mais pourquoi ce candidat est-il inscrit à ce cours?» Et bien, je n’ai pas la réponse. Sur une formation longue, il est forcément volontaire. Un employeur n’obtiendra rien d’un collaborateur inscrit à un cycle de deux ans de cours, une à deux fois par semaine, si ce collaborateur est contraint à la formation. D’ailleurs, en général, il ne finira pas le cursus et risquera fort de démissionner.

Nous avons donc une personne démotivée (l’a-t-elle jamais été?) qui s’est inscrite à une formation certifiante et nous fait un refus devant l’obstacle, au motif qu’elle ne veut pas bosser en dehors des cours. Comme c’est aussi un client, nous n’avons pas le droit de l’éjecter tout bonnement et simplement, alors que ça nous démange. En Corée du Nord, il est réorienté dans une zone où les distractions sont réduites à leur portion congrue, dans un cours spécifique intensif pour mieux intégrer la volonté du parti. Puis il disparaît des écrans comme par enchantement. Comme nous ne disposons pas de séminaires en résidentiel de rééducation idéologique, la seule solution imaginable est de placer cette personne devant ses responsabilités, face aux conséquences de sa décision (s’inscrire à ce cursus) et, en cas de non changement d’attitude, de ne pas en faire cas. Très souvent ce sont les motivés, les «bons élèves», qui lui «redressent les bretelles». Parfois même, la discussion peut inverser la machine et transformer le réfractaire en volontaire.

Blaise Neyroud, Directeur de cours au Centre Patronal
bneyroud@centrepatronal.ch